dimanche 22 mars 2009

La Cavale numéro 15 est sortie

La Cavale numéro 15 est sortie. Vous pouvez l'obtenir dans les lieux de diffusion connus (infothèques, librairies, squats,...) ou en envoyant un mail à l'adresse uitbraak@gmail.com ou en écrivant à l'adresse postale Boite Postale 187, Rue du Progrès 80, 1210 Bruxelles.

Un numéro coûte 1,5 euro. Gratuit pour prisonniers. Ceux qui voudraient que nous envoyons la Cavale à un proche, ami, compagnon en taule, il suffit de nous signaler le nom et l'adresse.

Vous pouvez également le télécharger ici: http://www.typemachine.be/local--files/andere-teksten/La_Cavale_15.pdf

Edito du numéro 15 de La Cavale

Parfois tout semble indiquer qu’on est devant un tournant, qu’une certaine dynamique semble irrévocablement prendre une autre tournure. Difficile qu’il en soit autrement, car aucune lutte ne maintient la même intensité au cours des années. Il n’en va pas différemment avec l’agitation dans et autour des prisons ici. Après trois années de révoltes et de mutineries régulières, le silence si familier semble reprendre le dessus. La diffusion ardente de la révolte est de plus en plus ombragée par les geôles d’isolement, de nouvelles prisons, un nouveau centre fermé pour les indésirables récalcitrants, des bagarres sanglantes entre bandes comme dans la prison d’Anvers et de Gand.

Et alors, nous demanderont les réalistes, qu’est-ce qu’il y a été obtenu ? Quelle bataille a été remportée ? Mais il est impossible de répondre à des questions qui reprennent les catégories du pouvoir comme étalons. Trois années de révoltes ne peuvent pas être résumées dans une addition de résultats pratiques, car il n’a jamais été question de ça. Il s’agit, par contre, de la croissance d’une certaine conscience (qui s’affute en mots et en actes), d’idées qui ont trouvé l’espace pour s’exprimer, des liens de solidarité et de complicité qui ont été forgés. Ces choses ne peuvent pas être quantifiées, elles se heurtent de front à la logique de comptabilité des in et out.

Mais, nous demanderont des compagnons, est-ce que toutes les possibilités ont été saisies ? Là aussi, nous ne saurons répondre. Si on conçoit une lutte spécifique comme une possibilité de développer des idées plus générales, comme une possibilité d’acquérir des expériences avec les méthodes et les moyens, alors cette lutte devient un vrai parcours, un chemin où le point de départ et le point d’arrivée ne sont pas les mêmes, un parcours qui ne tourne pas en rond. Voilà peut-être le plus beau : il est vrai que l’Etat va construire des nouvelles prisons, il est vrai que des compagnons de lutte sont jetés dans les geôles d’isolement, mais personne n’en est au même point qu’il y a trois ans, les rapports de force ne sont pas restés inchangés, il y a une progression qui a été faite. Il s’agit alors aujourd’hui d’apprendre de toutes ces expériences, de les passer au crible et de s’en servir dans les luttes qui viennent, sans laisser rien derrière, sans laisser personne derrière, sans laisser s’éroder les complicités tissées entre l’intérieur et l’extérieur, mais tout en allant à la recherche de nouveaux horizons, de nouvelles possibilités pour intensifier la subversion de l’existant, pour attaquer le monde qui produit des prisons et est fondé sur la privation de liberté généralisée.

En outre, rien n’est fini. Si la dynamique de lutte des dernières années a été caractérisée par beaucoup de mutineries, ces moments spécifiques - ces moments où tout un parcours de rébellion enfonce comme un coup de masse les fondements de la démocratie - ce n’est pas pour autant que quand ces moments deviennent plus rares, la dynamique décroit. Non, elle change de forme, d’intensité, mais il n’y aucune raison sensée pour prétendre que la lutte se laisse délimiter par deux dates. Il s’agit alors, plus que jamais, de jeter des ponts vers d’autres fronts, de lier les différentes luttes dans l’ensemble de la guerre sociale dont nous faisons partie. Pour arriver à développer une dynamique qui ne dépende plus jamais des points de références théorisés ou des sujets (les prisonniers, les immigrés, les jeunes, les chômeurs, les sans-abris,…), mais qui trouve sa propre terre ferme pour, parmi tant d’autres rebelles, donner des coups qui portent quelque chose d’autre en eux, qui avancent une perspective anarchiste qui combatte obstinément et ardemment toute domination et toute exploitation.

Pas de tabula rasa donc, mais poursuivre, affûter toujours plus la critique en mots et en actes. Et sans s’affaisser dans l’oubli – ce grand ennemi de toute lutte – mais hardiment continuer à combattre aux cotés de ceux qui depuis des années se révoltent et se trouvent actuellement dans les modules d’isolement ici et ailleurs, continuer à se battre contre cette grande prison sociale où nous sommes tous prisonniers. Les occasions ne manqueront pas…

Extrait de La Cavale numéro 15

Une balle qui ressurgit avec pleine de force...

A propos du quartier d’isolement à Bruges
Ce texte a été écrit suite à une audience de procès autour des conditions de détention de Farid Bamouhammad. Farid a été transféré cet été vers le quartier d’isolement de Bruges, et ce n’était pas arbitraire. L’Etat belge a construit le quartier d’isolement notamment pour des prisonniers « avec des problèmes de comportement avancés ». Et ce que le spectacle nomme des problèmes de comportement, est en réalité un conflit permanent avec la prison ; un conflit qui s’exprime contre ses geôliers et son infrastructure.
Farid a déjà passé 25 ans dans différentes prisons belges, dont une grande partie en isolement. Récemment est apparu un livre de sa main où il dénonce les conditions de détention dans différentes prisons. Au printemps 2008, la torture et l’isolement qu’il subissait à Lantin a atteint des sommets. En juin, l’Etat s’est tapé sur les doigts et un juge a énoncé que la torture à Lantin devait cesser et qu’il devait être transféré vers une prison de moyenne taille en région francophone. Après un court passage à la prison de Louvain pour calmer les esprits, il a tout de même été transféré vers les geôles de Bruges.
Lundi 9 février, le procès en appel contre la décision du juge a eu lieu à Liège. Le jugement suivra le 10 mars. Farid a été emmené escorté par une série de policiers cagoulés et fort équipés de la section anti-émeute COBRA. Il a pris la parole. Il a décrit l’insanité des conditions de détention dans le quartier d’isolement et a fini par affirmer qu’il n’est plus question d’une amélioration, mais qu’il faut tout simplement en finir avec les prisons.
En mars 2009, Farid a été transféré à la prison de Namur où les gardiens font jusqu'ici toujours grève pour exiger son transfer immédiat.

« Au Moyen Age, ils jetaient des gens comme moi dans une oubliette. Aujourd’hui se passe la même chose, sauf que tu ne meurs plus de faim et de soif. Je me sens comme dans un labo où ils veulent tester jusqu’où ils peuvent aller. »
- Ashraf Sekkaki depuis le module d’isolement à Bruges, novembre 2008

« Toutes ces raisons ainsi que cet endroit qui te glace, qui t’accable et qui te casse, en font que je me suis terré avec regret et à tort et à travers. Mais j’ai remonté la pente et reste tant bien que mal stoïque face à ce système cinglant, opprimant et de non-droit. Je reste et je suis comme un roseau qui se plie parfois par désespoir mais qui se redresse aussitôt. »
- Farid Bamouhammad, depuis le module d’isolement à Bruges, janvier 2008

La prison n’est rien d’autre que le reflet de la société dans laquelle on vit. La société elle-même ressemble à une vaste prison où la majorité des gens sont enfermés dans la nécessité de trouver de l’argent, dans l’absence de perspective dans la vie, dans les rôles, comme par exemple « femme de ménage », que les valeurs dominantes leur ont octroyés. Tout comme dans la rue, il y a dans les prisons, les asiles psychiatriques, les centres fermés, des personnes qui ne se résignent pas et qui n’enterrent pas un certain goût de liberté et d’une vie meilleure parce qu’un juge l’a ordonné. Des personnes qui, quotidiennement, refusent l’humiliation d’obéir aux matons et aux chefs. Pour qui les murs et les barbelés de la prison ne sont pas encore imprimés dans leurs cerveaux et qui, au contraire, les considèrent plutôt comme des obstacles à franchir. Car la punition que la société, à travers ses juges, leur a offerte, n’est que le reflet d’un monde injuste basé uniquement sur le pouvoir de l’argent et sur l’obéissance.
Alors, depuis trois ans déjà, une petite tempête de révolte a laissé des traces dans des dizaines de prisons et de centres fermés en Belgique. En se mutinant, en boutant le feu à l’infrastructure carcérale, en attaquant les gardiens, en s’évadant, des prisonniers ont retrouvé ce que le système a voulu leur enlever définitivement : le courage, un désir de liberté et une audace qui rêve de balayer toute la merde que cette société produit. L’Etat va construire sept nouvelles prisons pour contenir cette rage et pour enfermer d’avantage les personnes qui, avec les conditions d’exploitation qui deviennent de plus en plus dures, ne respecteraient plus la loi des puissants et des riches. Et pour les prisonniers réfractaires, l’Etat a déjà ouvert deux modules d’isolement à la prison de Bruges et de Lantin, de vraies prisons à l’intérieur de la prison, des cages de torture blanche, pour en finir avec tous ceux dont le cœur les amène à se révolter plutôt qu’à se résigner.
Ces modules se composent de dix cellules qui ressemblent à des chambres frigorifiques, où les prisonniers sont enfermés 23h sur 24h. Dans une cage de quelques mètres carrés, les gardiens leur donnent un peu « d’air » une fois par jour. Dans les cellules, les prisonniers ne peuvent disposer de presque rien et une autorisation spéciale et temporaire est nécessaire pour obtenir, par exemple, un stylo. Pendant la nuit, la lumière est régulièrement allumée. Les cellules mêmes sont insonorisées. Ces endroits ressemblent à un mouroir où l’Etat essaye d’en finir silencieusement avec ceux qui gênent le bon déroulement de la machine carcérale à broyer des êtres humains.
Au cours des derniers mois, les prisonniers qui sont actuellement enfermés dans ces cages, se sont révoltés déjà plusieurs fois en brisant le peu de mobilier (les lampes par exemple) existant dans la cellule. Les gardiens ont toujours fait directement appel à des unités anti-émeute de la police fédérale, stationnées en permanence près de la prison. Ils viennent alors avec des matraques, des boucliers, des lacrymogènes, des chiens pour mater l’esprit rebelle. Ces gestes de révolte prouvent encore une fois que même dans la situation la plus oppressante, il y a des personnes qui refusent de se soumettre, de s’auto-annuler, de plier face à l’autorité infâme.
Si le but de l’Etat, en construisant ces cellules, est de mater toute critique en mots et en actes du système carcéral ; s’il cherche à en finir, par la torture blanche, avec tout individu qui choisit le chemin difficile de garder la tête haute plutôt que de se cacher dans le troupeau, croyant ainsi limiter les coups de fouets de la répression et de l’oppression, il en découle logiquement que, pour faire obstacle à ces plans mortifères, il nous faut intensifier la critique de la prison et de la société qui a besoin d’elle. La critique de la prison devient palpable quand elle est capable de préciser en quoi elle existe et qui participe à son fonctionnement. Ainsi, nous n’oublierons pas que c’est Hans Meurisse, le directeur général des prisons, qui donne les ordres de placer des prisonniers dans ces modules d’isolement. Nous n’oublierons pas que ce sont les directeurs Jurgen van Poecke, Sybille Haesebrouck et Ronny Vandecandelaere qui gèrent la prison de Bruges et la section de haute sécurité. Nous n’oublierons pas les gardiens qui font le sale boulot de faire tourner cette machine infernale et qui sont fiers de leurs uniformes. Nous n’oublierons pas les juges et toute la magistrature qui ordonnent l’incarcération de milliers de personnes. Nous n’oublierons pas ceux qui se font du fric en participant à la construction et à la gestion des prisons. Car l’oubli est l’antichambre de la soumission.

Quelques amants de la liberté
février 2009

« Ce que l’on oublie, c’est que l’endurance d’un humain n’est pas inépuisable. Ils pourraient bien un moment se retrouver dans une situation pénible. Car, une balle que l’on essaie de garder sous l’eau, ressurgit avec pleine force. »
- Ashraf Sekkaki, novembre 2008