dimanche 9 août 2009

Abattons les murs de la prison sociale!

Quelques remarques à propos de l'évasion de Bruges

Dans la cacophonie des opinions, tout sonne faux. Le seul son sincère ces derniers jours fût sans doute les acclamations de prisonniers quand l’hélicoptère a décollé du préau de la prison de Bruges. Aucun politicien, flic, journaliste, criminologue ou psychiatre ne réussira jamais à faire taire les cris de joie lors d’une reconquête audacieuse de liberté.

Depuis plusieurs années, la révolte et l’insubordination couvent dans les prisons belges. Ashraf Sekkaki, qui venait d’être transféré du nouveau module d’isolement à Bruges à la section « normale », est l’un de ces prisonniers qui se sont aventurés sur le chemin de la rébellion. Il n’a jamais voulu se résigner face à son enfermement, n’a jamais voulu faire la paix avec ceux qui l’enferment. L’évasion réussie la semaine dernière prouve une fois de plus que quatre murs et des uniformes ne suffisent pas à briser le désir de liberté.

Une réaction de panique a suivit chez des inspecteurs de police de Malines, chez le directeur général des prisons belges, Hans Meurisse, et chez les juges qui n’ont aucune envie se voir présenter l’addition. Depuis des années, ils tentent d’échapper grâce au jeu de rôles démocratique à leurs responsabilités dans l’humiliation, la dégradation et l’enfermement d’êtres humains. Mais il y en a encore des gens qui osent agir selon leurs convictions, qui ne veulent pas se retrouver désarmé face à l’autorité et qui ne se soucient guère des règles du jeu démocratique et de ces codes pénaux…

Ashraf ne regrette pas les braquages dont il est accusé. Voici la grande honte qu’ils ont voulu cacher en l’internant et en le livrant à l’arbitraire le plus absolu. Mais qu’aurait-il à regretter ? Qu’il est allé chercher l’argent là où il se trouve en abondance ? Qu’il est fier de n’avoir jamais accepté le salariat ou de devenir lui-même exploiteur ou capitaliste ? Il n’y a aucun sens à glorifier des braquages et des expropriations ou à dépeindre les braqueurs pour ce qu’ils sont ou ne sont pas. Mais ceci n’enlève rien au fait qui nous pouvons parfois reconnaître une partie de nos désirs d’un monde sans exploitation dans les parcours de ceux qui choisissent ici et maintenant d’exproprier les riches, leurs banques et leurs magasins.

Ces derniers jours, nous avons été inondés par les opinions des chacals de la démocratie. Non seulement les politiciens se sont lâchés avec une série interminable d’insultes à l’adresse des évadés. Les journalistes ont joué leur rôle crucial en creusant un fossé entre les évadés et ceux qui pourraient peut-être se reconnaître dans cette conquête de liberté. Ils ont dépeint les évadés comme des barbares et des psychopathes ivres de sang ; ainsi ils ont contribué à évacuer d’autres questions qui auraient pu être mises sur la table (la question de l’enfermement, de la prison, de l’internement, de la justice, de l’exploitation, de la pauvreté…). En tant que mercenaires de la Justice, leur lynchage médiatique prépare celui de la répression. Une armée de charognards leur ont rejoints: des criminologues qui font des discours exigeant plus de modules d’isolement ; des psychiatres judiciaires qui disent tout et n’importe quoi pour nier aux évadés toute individualité et volonté ; des spécialistes en problèmes relationels qui réduisent la complice féminine à « une petite amie de gangster qui s’est laissé tromper » ; des porte-paroles des syndicats de matons qui prennent le premier pas dans l’élaboration de la répression ; des architectes et des entrepreneurs qui trépignent de pouvoir faire du fric avec plus de barreaux, plus de filets, plus de murs.

L’Etat est en train de préparer sa réponse à l’agitation à l’intérieur des murs. Après la construction de deux nouveaux modules d’isolement à Lantin et à Bruges – de véritables prisons dans la prison -, la construction d’un nouveau centre fermé (destiné avant tout aux clandestins réfractaires) a débuté à Steenokkerzeel, un accord a été conclu avec les Pays-Bas pour la « location » d’une prison à Tilburg pour enfermer 500 prisonniers de Belgique et les plans pour la construction de quatre nouvelles prisons se finalisent. En outre, les matons semblent avoir été remis au pas par leurs patrons et les conflits corporatistes résolus en lâchant du fric, des mesures de sécurité et en leur laissant les mains un peu plus libres.

Disons les choses clairement. La prison n’est pas « un monde à part » ; elle est simplement le produit de la société dans laquelle nous vivons. Cette société est elle-même une prison où tout le monde se retrouve d’une manière ou d’une autre enfermé dans l’engrenage de l’autorité, de l’exploitation et de l’oppression. Malheureusement il semble que de plus en plus de gens non seulement n’essayent plus de s’évader de cette société-prison, mais ne le désirent même plus. Alors faisons sentir en mots et en actes qu’aujourd’hui il y a encore des individus dont l’estomac ne peut supporter l’exploitation et l’humiliation ; dont le cœur continue à désirer la liberté ; dont le cerveau en a marre des idioties et des opinions de masse préfabriquées ; dont les mains deviennent des poings serrés face aux défenseurs de l’ordre établi.

Abattons les murs de la prison sociale !

Notre désir de liberté ne peut laisser debout aucun Etat, aucune institution, aucun patron, aucune frontière… !


Quelques individus en révolte contre la prison sociale
Belgique, 26 juillet 2008