lundi 11 mai 2009

Le 'coup de maître' de Stefaan de Clerck

Le ministre de Justice Stefaan de Clerck, modeste comme tous les politiciens, a parlé d’un « coup de maître contre la surpopulation dans les prisons belges ». L’Etat belge voudrait louer des cellules aux Pays-Bas et y parquer entre trois et cinq cent prisonniers condamnées ici. Il s’agirait d’une mesure temporaire vu que l’Etat se targue de pouvoir ouvrir vers 2012 plusieurs nouvelles prisons. Une fois de plus, il devient clair que l’Etat traite ses prisonniers (tout comme ses autres « sujets ») comme des pions déplaçables à son gré.

Dans les têtes des puissants, chaque individu est en effet surtout le rôle social que lui est imposé. Ainsi nous sommes considérés comme « force de travail », « machines à reproduire », « prisonniers », « clandestins »… Les sciences sociales comme la sociologie et la criminologie fournissent au pouvoir les moyens rationnels et analytiques pour construire et saisir ces catégories. L’enfermement des individus dans des catégories leur donne une emprise sur notre existence, permet à leur logique de pénétrer dans nos vies et de tracer le chemin qu’il nous faut suivre. Il ne serait alors guère surprenant que les individus appartenant à ces catégories soient traitées comme des matières premières, comme des briques déplaçables à merci dans les citadelles du pouvoir. Certaines catégories sont à déporter, d’autres sont à incorporer dans les régiments du travail, toujours prêts à se déplacer sous la commande du capital, d’autres encore sont à écarter dans de longues listes d’attente pour une existence meilleure qui ne vient jamais.

Les prisonniers ne font pas exception à cette logique. Comme s’ils étaient juste une matière première, il faut les délocaliser vu que la capacité de la machine à enfermer ici ne suffit plus. L’Etat hollandais parade avec ses prisons perfectionnées et vient à la rescousse de la Belgique. C’est aussi simple que ça. Evidemment, il y a un prix à payer et pas seulement le loyer des cellules. Les accords de déportation, le fait que des pays acceptent de « reprendre » les demandeurs d’asile déboutés, sont une carte de plus à jouer. Pour le Maroc, ils allaient de pair avec des accords bilatéraux sur l’exportation des tomates. Le Nepal a accepté en échange d’une licence d’importation d’armes fabriquées ici par FN-Herstal. Les prisonniers seront donc utilisés comme monnaie d’échange pour faire du business. En outre, il n’y a pas de doute que la déportation vers les Pays-Bas sera utilisée comme une espèce de mesure disciplinaire, en plus du quartier de sécurité ou du transfert, pour isoler des prisonniers qui gênent le bon fonctionnement.

La Belgique a d’ailleurs déjà conclu des accords avec des pays comme la Pologne pour qu’ils reprennent « leurs » prisonniers et que ceux-ci purgent des peines infligés par des tribunaux belges dans « leur » pays. Des négociations sont encore en cours avec d’autres pays comme, de nouveau, le Maroc. Toutes ces mesures pour rabaisser la pression dans les prisons ici.

Au-delà de l’écœurante politique de gestion des populations qui réduit des individus à des catégories et des pions sur le jeu d’échecs du pouvoir, la déportation des prisonniers vers les Pays-Bas entraînera toute une série de problèmes pratiques. Les prisonniers ne pourront peut-être pas parler avec leurs codétenus parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, leur accès à des médecins et des assistants sera plus difficile à cause des problèmes de communication, les visiteurs auront des kilomètres en plus à faire, l’assistance des avocats se limitera car ceux-ci ne seront souvent pas prêts à voyager jusqu’aux Pays-Bas ou ne seront simplement pas habilités (et en outre, ils ne connaissent ni les spécificités du code pénal hollandais ni les coutumes du régime pénitentiaire). Il est alors clair que la déportation des prisonniers vers les Pays-Bas n’est qu’un des énièmes tentatives pour isoler et mettre à l’écart.

Le « coup de maître » de Stefaan de Clerck est simplement une autre mesure pour mater le mécontentement et les révoltes dans les prisons. Des arguments tels que la « surpopulation » ou les « mauvaises conditions » ne sont que des prétextes pour masquer de quoi il s’agit réellement : faire tourner une machine aussi efficace que possible pour enfermer des personnes et pour briser leur volonté. Que l’Etat néerlandaise s’y morde ses doigts et que, qui sait, le virus de la révolte se laisse déporter lui aussi au-delà des frontières.

[Extrait de La Cavale, numéro 15 bis, mai 2009]

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