lundi 11 mai 2009

La Cavale numéro 15 bis est sortie (mai 2009)


La Cavale numéro 15 bis est sortie. Trouvable aux endroits habituels, commandable à travers un mail ou un courrier à la boîte postale, téléchargeable ci-dessus.

Télécharger La Cavale numéro 15bis: http://www.typemachine.be/local--files/andere-teksten/lacavalenr15bismai2009.pdf

EDITO

AU MOMENT OÙ LES GARDIENS DE NAMUR venaient de mettre un terme à leur grève contre l’arrivée de Farid Bamouhammad dans leur prison, le nouveau quartier de haute sécurité de la prison de Bruges est détruit lors d’une mutinerie. Le lendemain, des prisonniers se mutinent également dans une autre section de cette prison. Peu après, une quatrième évasion avec prise d’otage d’un maton est couronnée de succès et les prisonniers de Forest montrent leur mécontentement face à la énième grève de matons. Entretemps, les critiques complaisants du carcéral ne trouvent mieux à faire qu’organiser une conférence avec des spécialistes en matière d’enfermement à l’Université Libre de Bruxelles. Ils arrivent à la conclusion qu’en effet, les conditions dans les prisons et les institutions fermées belges sont bel est bien lamentables. Avec leurs dossiers et leurs mallettes à la main, ils ont trouvé une nouvelle excuse pour se mettre à table avec leurs amis les politiciens. Fin avril alors, à Schaerbeek, la police tue par balle un homme de 40 ans. Selon les dernières informations, cet homme, en route vers son boulot d’ouvrier communal, aurait été témoin d’un abus sexuel et cherchait l’agresseur. Une patrouille de flics qui passait par là a jugé plus important de vérifier avant tout l’identité de cet homme. Ce contrôle a dégénéré, l’homme a blessé un des flics au bras et l’autre flic lui a tiré plusieurs balles dans la poitrine.


Le lendemain, les écoliers et les passants marchent déjà sur l’endroit où la police scientifique avait tracé une silhouette. Ici et là on voit un regard timoré, mais pour le reste tout suit son cours normal. Les jours suivants aussi, ça reste étonnamment tranquille dans le quartier et ailleurs. Même si une certaine tension est palpable, ce n’est qu’un peu de feu et de pierres qui semblent exprimer la rage pour le énième meurtre de l’Etat. Les exploités d’aujourd’hui, sont-ils si habitués à la violence quotidienne du travail abrutissant, du manque de perspectives, du racisme, de la culture machiste, du contrôle omniprésent,… qu’ils ne peuvent que s’y résigner ? La grande majorité silencieuse suit le chemin qui lui est propre : marcher par-dessus les silhouettes tracées des assassinés. Si quelque part, ils se rendent bien compte que quelque chose ne va pas, ils détournent le regard pour s’enfoncer dans la soumission à la routine quotidienne. Ainsi, des milliers d’être humains meurent « inaperçu », de misère, de la violence de l’exploitation, aux frontières, dans les prisons et les centres fermés, sous les balles des soldats et des flics.

Depuis longtemps déjà, il est clair qu’outre la coercition et la matraque, le pouvoir se maintient aussi grâce à la complaisance et la résignation de ses ‘sujets’. Il y a des personnes avec beaucoup moins de possibilités de mouvement (comme les prisonniers qui se sont révoltés ces dernières années) qui apparemment, peut-être grâce au courage du désespoir, sont capables d’identifier et d’attaquer ce qui les anéantit. Mais là encore, ça n’a jamais été la majorité des prisonniers mais seulement une minorité avec le coeur bien placé et qui sait vers quoi et vers qui diriger sa rage. Alors, comptons surtout sur nos propres forces et ouvrons de l’espace pour forger de liens de complicité réels – dans les quartiers comme au-delà des murs.

Nageant sur les vagues de la rébellion, armés avec la rage contre l’horreur et la misère dans ce monde, déterminés dans la volonté de continuer à chercher les possibilités de révolte, nous avons pensé opportun de sortir ce numéro intermédiaire comme modeste contribution. Rien n’est fini, tout continue.

[Extrait de La Cavale, numéro 15 bis, mai 2009]

Le 'coup de maître' de Stefaan de Clerck

Le ministre de Justice Stefaan de Clerck, modeste comme tous les politiciens, a parlé d’un « coup de maître contre la surpopulation dans les prisons belges ». L’Etat belge voudrait louer des cellules aux Pays-Bas et y parquer entre trois et cinq cent prisonniers condamnées ici. Il s’agirait d’une mesure temporaire vu que l’Etat se targue de pouvoir ouvrir vers 2012 plusieurs nouvelles prisons. Une fois de plus, il devient clair que l’Etat traite ses prisonniers (tout comme ses autres « sujets ») comme des pions déplaçables à son gré.

Dans les têtes des puissants, chaque individu est en effet surtout le rôle social que lui est imposé. Ainsi nous sommes considérés comme « force de travail », « machines à reproduire », « prisonniers », « clandestins »… Les sciences sociales comme la sociologie et la criminologie fournissent au pouvoir les moyens rationnels et analytiques pour construire et saisir ces catégories. L’enfermement des individus dans des catégories leur donne une emprise sur notre existence, permet à leur logique de pénétrer dans nos vies et de tracer le chemin qu’il nous faut suivre. Il ne serait alors guère surprenant que les individus appartenant à ces catégories soient traitées comme des matières premières, comme des briques déplaçables à merci dans les citadelles du pouvoir. Certaines catégories sont à déporter, d’autres sont à incorporer dans les régiments du travail, toujours prêts à se déplacer sous la commande du capital, d’autres encore sont à écarter dans de longues listes d’attente pour une existence meilleure qui ne vient jamais.

Les prisonniers ne font pas exception à cette logique. Comme s’ils étaient juste une matière première, il faut les délocaliser vu que la capacité de la machine à enfermer ici ne suffit plus. L’Etat hollandais parade avec ses prisons perfectionnées et vient à la rescousse de la Belgique. C’est aussi simple que ça. Evidemment, il y a un prix à payer et pas seulement le loyer des cellules. Les accords de déportation, le fait que des pays acceptent de « reprendre » les demandeurs d’asile déboutés, sont une carte de plus à jouer. Pour le Maroc, ils allaient de pair avec des accords bilatéraux sur l’exportation des tomates. Le Nepal a accepté en échange d’une licence d’importation d’armes fabriquées ici par FN-Herstal. Les prisonniers seront donc utilisés comme monnaie d’échange pour faire du business. En outre, il n’y a pas de doute que la déportation vers les Pays-Bas sera utilisée comme une espèce de mesure disciplinaire, en plus du quartier de sécurité ou du transfert, pour isoler des prisonniers qui gênent le bon fonctionnement.

La Belgique a d’ailleurs déjà conclu des accords avec des pays comme la Pologne pour qu’ils reprennent « leurs » prisonniers et que ceux-ci purgent des peines infligés par des tribunaux belges dans « leur » pays. Des négociations sont encore en cours avec d’autres pays comme, de nouveau, le Maroc. Toutes ces mesures pour rabaisser la pression dans les prisons ici.

Au-delà de l’écœurante politique de gestion des populations qui réduit des individus à des catégories et des pions sur le jeu d’échecs du pouvoir, la déportation des prisonniers vers les Pays-Bas entraînera toute une série de problèmes pratiques. Les prisonniers ne pourront peut-être pas parler avec leurs codétenus parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, leur accès à des médecins et des assistants sera plus difficile à cause des problèmes de communication, les visiteurs auront des kilomètres en plus à faire, l’assistance des avocats se limitera car ceux-ci ne seront souvent pas prêts à voyager jusqu’aux Pays-Bas ou ne seront simplement pas habilités (et en outre, ils ne connaissent ni les spécificités du code pénal hollandais ni les coutumes du régime pénitentiaire). Il est alors clair que la déportation des prisonniers vers les Pays-Bas n’est qu’un des énièmes tentatives pour isoler et mettre à l’écart.

Le « coup de maître » de Stefaan de Clerck est simplement une autre mesure pour mater le mécontentement et les révoltes dans les prisons. Des arguments tels que la « surpopulation » ou les « mauvaises conditions » ne sont que des prétextes pour masquer de quoi il s’agit réellement : faire tourner une machine aussi efficace que possible pour enfermer des personnes et pour briser leur volonté. Que l’Etat néerlandaise s’y morde ses doigts et que, qui sait, le virus de la révolte se laisse déporter lui aussi au-delà des frontières.

[Extrait de La Cavale, numéro 15 bis, mai 2009]

vendredi 1 mai 2009

Occupation de la faculté de Criminologie à Gand


Gand – mercredi 29 avril 2009. La faculté de criminologie de l’université de Gand est occupée en solidarité avec les mutineries dans les prisons et les centres fermés, et plus spécifiquement avec la destruction de la section de haute sécurité de la prison de Bruges. Nous avons choisi d’occuper la faculté de criminologie parce que cette science est étroitement liée à la prison, à la justice et à la police. En effet, ceux qui condamnent jour après jour des dizaines de personnes à plusieurs années de prison ou à se faire déporter ont souvent commencé leur ignoble carrière dans cette faculté.


Solidarité avec les rébellions dans les prisons et les centres fermés. Contre toutes les prisons.


OCCUPATION DE CRIMINOLOGIE A GAND


Sans cesse, des directeurs de prison progressistes, des sociologues, des chercheurs, des intellectuels illuminés et des journalistes critiques nous présentent leur opinion sur le monde carcéral. De temps en temps, ils énoncent même des opinions critiques à propos de ses aspects les plus brutaux comme la surpopulation qui fait que les prisonniers se retrouvent souvent à quatre dans des cellules prévues pour deux personnes ; comme l’absence d’activités et de visite qui fait que plein de détenus restent en cellule 22h par jour; comme la brutalité et les vexations de la part des gardiens qui utilisent actuellement même des tazer (des électrochocs) pour calmer les détenus révoltés. Mais ces critiques ne remettent aucunement la prison en question pour ce qu’elle est et ce qu’elle signifie. Elles renforcent même le mécanisme démocratique derrière l’enfermement des milliers de personnes. Ce ne sont certainement pas les politiciens ou les faux critiques de ce monde qui vont avancer une vraie critique du carcéral, de sa justice et donc de sa société. Comment serait-ce possible, alors que la prison n’est rien d’autre qu’un instrument créé pour défendre l’ordre existant tant au niveau social, économique que morale ? Dans ce sens, une critique de la prison ne peut pas être séparée d’une critique de l’ordre existant qui divise le monde en oppresseurs et opprimés, en exploiteurs et exploités, en maîtres et esclaves et qui a, entre autre, besoin de prisons pour se maintenir tel quel.


Depuis plus de trois ans, une tempête de révolte secoue les prisons et les centres fermés belges. Beaucoup de prisonniers se sont mutinés, ont détruit l’infrastructure carcérale tellement haïe, se sont évadés, ont cramé des cellules, ont attaqué des gardiens – ces mercenaires de l’Etat – ou les ont pris en otage pour s’évader. La révolte se diffusait d’une prison à une autre ; l’utilisation fructueuse d’une méthode particulière entrainait sa multiplication, comme les actuelles prises d’otage de matons pour s’évader. A tout le moins, on peut dire que c’est dans la rupture avec le cours normal des choses, la révolte, que s’ouvre au moins l’espace pour poser de vraies questions qui ne soient pas récupérables par le spectacle démocratique de la politique et de ses spécialistes. Même si on ne connaît pas tous ces prisonniers révoltés, nous reconnaissons dans leurs actes une propension à la liberté et une rage qui sont aussi les nôtres. Une rage contre l’incommensurable infamie de ce monde avec ses barreaux, ses barbelés, ses cellules, ses gardiens, ses juges, ses déportations… une propension vers la liberté qui ne supporte plus d’être commandé, d’accepter, de se résigner, de se faire exploiter, de baisser les yeux quand un compagnon est mis au cachot pour la énième fois …


La prison n’est en effet rien d’autre que le reflet de la société dans laquelle on vit. La prison et la privation de liberté ne sont pas des exceptions à la démocratie, pas une suspension temporelle de la vie de quelqu’un, mais une des conséquences d’une logique qui régit toute cette société. Les enfants sont principalement enfermés dans des écoles pour apprendre à obéir ; les adultes sont enfermés la moitié de leur journée sur leurs lieux de travail pour gagner le fric nécessaire à leur survie tandis qu’ils augmentent la richesse des patrons ; d’autres avalent chaque jour des antidépresseurs parce que sans ça ils ne pourraient pas supporter l’absence de perspective et l’ennui que cette société nous offre ; d’autres encore sont chassés et traqués par les négriers modernes de l’ONEM, d’Actiris et du FOREM. Et que dire d’une société qui enferme et largue ses vieux dans des foyers verrouillés ; qui étiquette d’ « hyperkinétiques » ses enfants éveillés et leur fait avaler les pilules correspondantes ; qui accueille ses nouveaux arrivants à coup racisme, de rafles et de déportations ; qui intoxique chacun d’entre nous – sans discrimination, ce monde est tellement démocratique – avec les émissions de ses usines, avec ses déchets nucléaires, sa destruction de l’environnement ; qui réduit les animaux à de la matière première produite et abattue à une échelle industrielle ? En fait, il n’y a pas de rupture fondamentale entre le dedans et le dehors, entre cette société et ses prisons : il y a surtout toute une continuité qui fait que la solidarité avec les mutineries dans les prisons signifie surtout de se battre ici et maintenant contre tout ce qui nous rend prisonniers de ce système. Pas seulement contre les juges qui distribuent au quotidien des dizaines d’années de prison, mais aussi contre les patrons qui nous pressent et se font du fric sur notre dos ; pas seulement contre les matons qui tournent jour après jour la clé des cellules, mais contre patriarche qui dirige femme et enfants d’une main de fer ; pas seulement contre les entreprises qui gagnent de l’argent en construisant ou en participant à la gestion des prisons, mais aussi contre tous ceux qui ont acquis des privilèges et qui font que ce monde est et reste divisé en pauvres et riches.


Nous avons choisi d’occuper aujourd’hui la faculté de Droit et plus spécifiquement l’unité d’enseignement et de recherche de Criminologie de l’Université de Gand en solidarité avec les révoltes dans les prisons belges et ailleurs dans le monde. Ce choix n’est pas arbitraire. Trop souvent, l’université et sa série de spécialistes essayent de se vendre comme l’arbitre neutre et sage qui se trouve au-dessus des remous de la société. Pourtant, l’université est une institution qui étudie le terrain, donne des avis, forme des spécialistes pour mieux servir le pouvoir sous toutes ses formes. Il en va de même pour les criminologues en formation qui après travailleront souvent pour la Justice, la police, la prison. La criminologie est la science qui passe « les criminels » au crible, qui analyse leurs comportements et leurs origines, qui fournit donc de l’information aux détenteurs de pouvoir pour comprendre et donc gérer « ces délinquants » en tant que catégorie analysée et donc contrôlable. Tout cela pendant que les maîtres du monde font bombarder, affament, exploitent, déportent, enferment des millions de personnes pour maintenir leur pouvoir et leurs profits. Les criminologues, comme leurs autres collègues spécialistes, ne peuvent pas se cacher derrière les excuses comme « nous sommes neutres », « nous ne faisons que des recherches objectives »… Car ce monde d’oppression n’a pas seulement besoin d’uniformes et de matraques pour se protéger, ni même uniquement de la résignation de ses sujets, mais aussi des lumières en pardessus blancs et de vestons progressistes poussiéreux une pipe aux lèvres pour seconder la planification rationnelle de tout ce qu’il y a d’infâme et d’écœurant dans ce monde.


Enfin, n’oublions pas que la seule réponse – et nous ne nous attendions pas à autre chose – de l’Etat aux cris de rage issus de derrière les murs est la construction de plus de prisons (dont une nouvelle prison psychiatrique à Gand), l’embauche de plus de matons et de gardiens de toutes sortes, l’extension du contrôle social à travers rafles, caméras, bases de données intégrés, bureaucrates. Faisons en sorte que leur machine ne tourne pas rond.


Avec cette occupation, nous voulons aussi envoyer un salut épris de liberté aux prisonniers qui, début avril, ont dévasté le quartier d’isolement de la prison de Bruges. Ce nouveau quartier d’isolement était une des réponses de l’Etat aux années de révoltes. Le voilà, lui aussi, réduit en ruines par le courage et l’audace de certains prisonniers. Ceci est de nouveau un pas en avant dans la lutte permanente contre la prison et son monde dont toutes les conséquences sont encore à venir…

Des salutations fraternelles aussi à tous les prisonniers qui se sont battus contre ce qui les détruit ces dernières années, vous savez déjà que ceci est aussi pour vous.


Force et courage à tous ceux et toutes celles qui se battent pour la liberté, dedans comme dehors !

En lutte contre la prison et le monde qui la produit et en a besoin !